L’année 2019 marquera-t-elle la fin du géant Steam ?

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En 2017, l’industrie du jeu vidéo a dépassé les 4,3 milliards d’euros de chiffres d’affaire en France, ce qui représente un record historique dans le secteur. Aujourd’hui, comme a pu l’expliquer le S.E.L.L, l’industrie est également principalement portée par les ventes de jeux dématérialisés, qui représentent plus de 39% des revenus de l’industrie en France.

Lorsque l’on parle de « jeux dématérialisés », on parle surtout d’un nouveau mode de distribution des jeux vidéo, puisqu’on passe d’une distribution physique à une distribution purement digitale, que ce soit sur console, PC, et plus récemment sur Smartphones et tablettes.

Et s’il y a bien un acteur qui a pu profiter de cette dématérialisation des jeux vidéo, c’est sans nul doute la plateforme de distribution de jeux en ligne. Apparue avec la dématérialisation, son développement est intrinsèquement lié au changement de mode de consommation des joueurs, qui ont de plus en plus tendance à télécharger des jeux en ligne plutôt que les acheter sous format physique.

Cette évolution du comportement des consommateurs est d’ailleurs aujourd’hui très visible pour les joueurs de PC Gaming, puisque plus de 95% des ventes de jeux PC en 2017 se sont faites sous format dématérialisé.

Steam, l’acteur incontournable du PC Gaming

Créée en 2003 par le développeur de jeux vidéo Valve, Steam est la première véritable plateforme de distribution de jeux en ligne sur PC. Elle est aujourd’hui sans conteste devenue le leader de la distribution de jeux vidéo en ligne, avec plus de 21 500 jeux proposés dans sa bibliothèque, dont plus de 7600 jeux sortis rien qu’en 2017. En outre, se sont également l’ensemble des services proposés par la plateforme qui lui ont permis d’atteindre le succès qu’on lui connaît aujourd’hui : on peut entre autres citer les fameuses soldes Steam, très attendues par l’ensemble des joueurs.

Mais la plateforme est également devenue un havre pour les créateurs de jeux et notamment pour tous les développeurs indépendants ; en leur donnant la possibilité de s’adresser aux joueurs plus facilement grâce à une importante désintermédiation du marché. Alors que la distribution physique oblige les développeurs à passer par une multitude d’intermédiaires pour sortir leur jeu, proposer leur jeu sur la plateforme de Valve leur permet de simplifier le processus le plus possible en ne passant que par un distributeur, Steam.

Cette désintermédiation permet aussi aux développeurs de récupérer une plus grosse part du gâteau lors de la vente de leur jeu. En l’espèce, Steam ne récupère que 30% des revenus de la vente d’un jeu en sa qualité de distributeur, ce qui permet pour le développeur de récupérer jusqu’à 60% des revenus sur la vente d’un jeu, soit près de 3 fois plus que pour la distribution physique.

Avec 4,3 milliards de dollars de chiffres d’affaire en 2017, et plus de 291 millions de joueurs, Steam est aujourd’hui la plateforme numéro 1 du PC Gaming en Occident, et ne cesse d’établir de nouveaux records d’année en année puisque la plateforme aurait entre autres réussi à conquérir plus de 63 millions de joueurs rien qu’en 2017.

C’est donc tout naturellement que d’autres distributeurs en ligne ont commencé à apparaître et à se positionner en tant que concurrents de Steam sur le marché. Parmi ces nouvelles  plateformes, on peut entre autres retrouver celle de Blizzard Entertainment (Battle.net), d’Electronic Arts (Origin) ou encore celle d’Ubisoft (uPlay).

2018 : un tournant pour la plateforme ?

Bien que Steam ait été confrontée à de nombreux concurrents depuis déjà plus de 15 ans, 2018 a cependant marqué un tournant sur le marché.

Premier coup dur en été 2018, lorsque Discord, logiciel de communication pour les gamers réunissant près de 200 millions d’adeptes, a lancé sa propre boutique de jeux dématérialisés sur sa plateforme. Alors que Twitch s’était elle aussi décidé à sortir sa boutique de jeux en ligne l’année précédente, Steam s’est alors retrouvée face à une concurrence déjà préétablie sur le marché, avec une énorme base de clients potentiels.

Mais c’est un décembre 2018 que le réel coup dur a eu lieu, avec la sortie de l’Epic Games Store, des créateurs du jeu phénomène Fortnite.

A priori, l’Epic Games Store aurait pu être une plateforme de téléchargement de jeux tout à fait ordinaire, qui aurait pu se noyer parmi une multitude de concurrents déjà bien présents dans le secteur. Cependant, la plateforme d’Epic Games a plusieurs points forts, le premier étant … Fortnite.

Ce qu’il faut savoir dans un premier temps, c’est que l’une des particularités du jeu est que sa version PC n’est uniquement disponible que sur le site officiel d’Epic Games. Avec aujourd’hui plus de 125 millions de joueurs, le jeu a donc réussi à se construire sans l’aide de grands noms de l’industrie comme Steam, puisqu’il n’est officiellement jouable sur PC, console et mobile que depuis octobre dernier. C’est donc en partie grâce à la très forte popularité de son jeu qu’Epic Games a réussi à se faire un nom et à pouvoir s’imposer comme potentiel concurrent de Steam.

Le principal point fort de l’Epic Games Store ne réside cependant pas dans la popularité de la marque auprès des joueurs, mais dans sa capacité à attirer les créateurs sur la plateforme. Avec une promesse d’obtenir près de 88% des revenus de la vente d’un jeu contre ‘’seulement’’ 60% sur Steam, Epic Games se place en effet comme un distributeur intéressant pour n’importe quel développeur. De quoi challenger la place du leader du marché.

Encore plus inquiétant pour Steam, la stratégie d’Epic Games a déjà porté ses fruits ! Ubisoft, le 4ème éditeur mondial de jeux vidéo, a déjà annoncé un partenariat d’exclusivité avec l’Epic Games Store pour la sortie de son prochain AAA, Tom Clancy’s : The Division 2. Ce partenariat ne sera pas sans conséquence pour Steam, puisque Ubisoft est l’un des éditeurs vendant le plus de jeux sur sa plateforme : en 2018, pas moins de 3 jeux de l’entreprise française se situaient dans le Top 12 des meilleures ventes de jeux sur Steam (Far Cry 5, Assassin’s Creed Odyssey, Rainbow Six : Siege).    

Mais s’il y a bien une chose qu’Epic Games ne peut pas retirer à Steam, c’est sa réputation et sa capacité de rétention des créateurs … Ou pas ?  

En l’espèce, cela fait quelques années déjà que l’on reproche à Steam sa mauvaise gestion de sa bibliothèque de jeux. Avec de plus en plus de jeux sur sa plateforme, Steam ne réussit pas gérer l’ensemble de ses titres, et beaucoup d’entre eux, notamment les jeux indépendants, passent très souvent inaperçus aux yeux des joueurs. Il y a donc aujourd’hui trop de choix pour les joueurs et pas assez de visibilité pour les créateurs ; de quoi rendre Epic Games encore plus dangereux s’il réussit à se forger une bonne réputation auprès des développeurs.

De la concurrence sur mobile ?

Si Steam doit faire face à une concurrence acharnée sur PC, elle doit aussi se confronter à l’envolée des applications de jeux sur mobile, et même si les deux univers Mobile et PC ne ciblent pas la même population (casual gamers VS core gamers), l’App Store (Apple) et le Google Play Store (Google) n’en sont pas moins des adversaires qu’il ne faut pas sous-estimer. 

Comme a pu le décrire App Annie, c’est effectivement sur mobile que les jeux ont connu la croissance la plus forte. Ils représentent à eux seuls 74% des dépenses sur les magasins d’applications en 2018, et devraient également atteindre près de 60% du marché des jeux d’ici fin 2019 (+35% depuis 2013).

Et alors que les jeux 100% mobiles comme Candy Crush Saga, Clash of Clans ou Pokemon GO font déjà le bonheur d’Apple et de Google (qui récoltent 30% des revenus pour chaque achat fait dans leur magasin d’applications), il est maintenant possible de télécharger des jeux originellement disponibles sur PC.

Ainsi, de grands titres du jeu vidéo comme Final Fantasy XV, Minecraft ou Grand Theft Auto sont aujourd’hui disponibles sur mobile ; mais on peut surtout y retrouver des jeux comme Firewatch, FEZ, Inside ou encore Life is Strange : des pépites du jeu indépendant encore inconnues du grand public avant leur sortie sur mobile.

Alors que le jeu indépendant a fait la gloire de Steam par le passé, leur arrivée sur mobile ne peut être que de mauvais augure pour la plateforme de Valve. Tout comme avec l’Epic Games Store, on pourrait tout à fait envisager que les développeurs décident de prioriser d’autres canaux de distribution que celui de Steam pour sortir leurs dernières nouveautés, en les sortant par exemple d’abord sur mobile, puis sur PC.

Et cela pourrait arriver beaucoup plus rapidement que prévu si Steam ne réussit pas à maintenir sa position de leader sur le marché et à retenir l’ensemble de ses développeurs sur sa plateforme …

Affaire à suivre. 

Eva Hulin

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