Le JT de 20 heures de France 2 à l’épreuve de la gouvernance

Chaque soir, plusieurs millions de Français allument leur télévision pour regarder le JT de 20 heures. Mais ces derniers temps, du côté de France 2, le 20h vacille. Gaffes, erreurs factuelles, séquences gênantes… Le journal s’invite malgré lui dans le best of des ratés médiatiques. Derrière ces loupés et les tensions informationnelles, le problème est-il seulement éditorial ? Trouve-t-il sa source dans la gouvernance de l’information ?

Source : commonswikimedia.org

La saga Salamé : quand le JT fait flop

Depuis 2017, le JT du 20H de France 2 est présenté par Anne-Sophie Lapix. Mais en août 2025,
Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, choisit l’ex-présentatrice de la matinale de
France Inter, Léa Salamé, pour reprendre le flambeau du JT de 20H. Considérant la journaliste comme
« une figure du service public, Léa a porté de grands rendez-vous démocratiques et a incarné avec talent la couverture des Jeux de Paris 2024 », a-t-elle confié au journal Le Figaro. Sans plus de détails apportés au regard de ce choix, hormis une volonté de changements concernant la chaîne.

Et des changements, il y en a eu ! Pas forcément pour le bonheur de France 2 d’ailleurs… Avant même sa première apparition à l’antenne, Léa Salamé est la cible de moqueries sur les réseaux sociaux. France 2 orchestre pourtant sa montée en puissance : la chaîne diffuse une vidéo de promotion. La future présentatrice y répète le célèbre « Madame, Monsieur, bonsoir ». Dans sa voiture, dans les couloirs de France Télévisions, à la cantine. À chaque fois, la même recherche de ton, la bonne intonation, le bon rythme. Sur les réseaux sociaux, on reproche à la chaîne de faire un peu du star-système, en mettant en avant une personnalité et non pas l’information en elle-même.

À l’antenne, les débuts de la nouvelle présentatrice virent à la saga médiatique. Les audiences repartent à la hausse, certes, avec 4,02 millions de téléspectateurs au lieu des 2,5 millions moyens habituellement (source : Médiamétrie). Un rebond net, porté par un effet de curiosité évident. Mais l’élan est de courte durée. Les prises d’antenne fourmillent de couacs. On s’interroge sur les premières images de
Léa Salamé qui ajuste son haut sur le plateau en se regardant dans le retour caméra. Tout ça en plein direct. Une séquence anodine, peut-être, mais commentée.

Puis l’affaire devient moins anecdotique… Souvenez-vous : l’épisode du « Roi des bons plans ». Un sujet diffusé dans la rubrique « Grand Format » du 20h. Ce jour-là, il est consacré à « Arnaud, le roi des bons plans », interviewé pour ses techniques d’économies dans les supermarchés. Problème : l’homme filmé est en fait l’humoriste « Mehdi tu connais », expert des canulars sur les réseaux sociaux. Le JT de la Deux s’est fait piéger par un influenceur du net. Difficile de faire plus décevant pour l’exigence de vérification de l’information que l’on attend d’un média public.

Et pourtant… Cette confusion : en octobre, le présentateur du JT de 13H affirme à tort que le professeur Dominique Bernard, assassiné à Arras en 2023, a été tué après avoir « montré des caricatures de Charlie Hebdo », est-il précisé lorsque son nom est évoqué. Quelques heures plus tard, la même fausse information est reprise au 20 heures par Léa Salamé. En réalité, les faits concernent Samuel Paty, assassiné en 2020. L’erreur aurait pu être corrigée entre les deux éditions puisqu’elle a été identifiée après le JT de 13 heures. Sauf qu’aucune correction n’a été apportée avant 20 heures, faute d’un manque de communication entre les deux éditions.

Alors, dans ce contexte informationnel assombri par la crainte de la fake news, ces bourdes en cascade sapent la crédibilité du journal télévisé que la Deux s’attache à reconstruire.

À la 2 c’est un peu la mode du dégagisme

Delphine Ernotte Cunci, la présidente de France Télévisions, impose sa vision. Sa politique de coupes budgétaires, son « mépris certain pour ses salariés », comme mentionné dans le journal l’Humanité… Dans son dossier de candidature, elle prévoyait le « non-remplacement des départs » et une
« modération salariale », qu’elle disait s’appliquer à elle-même (sa rémunération s’élève à 400 000 euros par an, primes comprises durant son premier mandat). Lorsqu’elle était chez Orange,
Delphine Ernotte avait la réputation d’être « omniprésente », de « se mêler de tout ». Et cela semble être le même tarif à France Télévisions. En 2017, David Pujadas est éjecté du 20 heures de France 2 alors qu’il le présentait depuis 16 ans. La nouvelle est tombée le matin même comme une bombe au sein de la rédaction de la chaîne. La direction de France Télévisions ne cachait plus son intention de s’attaquer au problème. L’année précédente, elle avait déjà envoyé un signal à David Pujadas en supprimant soudainement son émission politique Des paroles et des actes, pour la remplacer par
l’Émission politique, dont il a été contraint de partager la présentation avec une certaine… Léa Salamé !

Une mainmise du PDG sur la chaîne publique ?

La présidente de France Télévisions est nommée par l’ARCOM, dont le président est lui-même désigné par le président de la République. Ce mode de nomination confère, de fait, une dimension politique à la fonction. Officiellement indépendante, la présidence de France Télévisions est néanmoins souvent perçue comme devant s’inscrire dans un équilibre compatible avec les orientations du pouvoir exécutif.

En tant que responsable légale et éditoriale du groupe, elle est garante du cahier des charges du service public : information pluraliste, diversité, soutien à la création, etc. Le JT de 20 heures est le symbole le plus visible de cette mission. Il incarne la crédibilité et la neutralité de la marque France Télévisions.

 Mais Delphine Ernotte ne doit pas répondre qu’à des principes. Elle doit aussi réussir la course aux chiffres. Le 20h de France 2 est durablement distancé par celui de TF1. 2,7 millions de téléspectateurs en moyenne, contre 5,5 millions pour son concurrent (source : Médiamétrie). Conséquence : face à cette pression, la présidente prend des décisions stratégiques (ou de casting) pour tenter de rattraper le retard.

En nommant ou en destituant un présentateur, elle agit de fait sur la ligne globale du groupe dont elle est responsable devant l’État, le Parlement et les citoyens.   Le départ d’Anne-Sophie Lapix semble s’inscrire dans cette logique. La chaîne ne l’a jamais officiellement reliée à des considérations politiques, même si la journaliste était réputée pour la fermeté de ses interviews au point qu’Emmanuel Macron avait refusé de lui accorder un entretien en 2022. S’agit-il d’un simple choix d’audience ou d’un arbitrage plus large ? Delphine Ernotte, elle, s’est contentée d’évoquer un besoin de « changement » sans jamais expliquer son choix. 

Le contre-exemple du privé : une indépendance par délégation ?

Du côté des chaînes privées, la gouvernance de l’information repose sur un schéma différent. Pas nécessairement plus vertueux mais autrement structuré.

Prenons l’exemple TF1. Leur modèle repose sur la logique commerciale. Le JT est un produit stratégique : il doit fédérer une large audience, garantir des écrans publicitaires attractifs et in fine, soutenir les revenus du groupe. Le PDG, Rodolphe Belmer n’a, a priori pas la mainmise sur ces décisions. Les choix de la rédaction : nomination du présentateur, des chefs de service, recrutement des journalistes, sont délégués au directeur de l’information, Thierry Thuillier (ex-journaliste) et au directeur de la rédaction, Éric Monier (ex-journaliste). 

La chaîne TF1 peut avoir des affinités politiques ou économiques, certes, mais la nomination du présentateur est vue comme une décision de management interne orientée vers la performance plutôt que soumise à une surveillance politique. Résultat : l’information est structurellement indépendante de la direction générale. 

Toutefois la mainmise de la direction sur l’information ne semble pas inenvisageable. Un journaliste de LCI/TF1, contacté pour la réalisation de cet article, nous confie que les très rares occasions où la direction de l’information intervient directement dans la fabrication des sujets concernent des moments politiques assez sensibles. Un exemple récent : l’affaire judiciaire concernant l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy. Pourtant, cet épisode rarissime et isolé ne permet pas, à lui seul, d’établir la nature ou l’intensité des liens entre TF1 et le pouvoir politique. 

Preuve que, là aussi, le 20 heures reste un espace hautement stratégique, voire même d’expression majeur pour le monde politique où se succèdent Premiers ministres, ministres et responsables de premier plan.

Noa Ambrosino

Sources et références

Le 20h de Salamé : l’info en mode zapping, Acrimed
https://www.acrimed.org/Le-20h-de-Salame-l-info-en-mode-zapping
Que fait vraiment un présentateur de JT ? INA
https://larevuedesmedias.ina.fr/presentateur-journal-televise-20-heures-lea-salame
Léa Salamé va prendre les rênes du JT de 20 heures de France 2 en remplacement d’Anne-Sophie Lapix, Le Figaro
https://www.lefigaro.fr/medias/lea-salame-nouveau-visage-du-jt-de-20h-de-france-2-20250619
France Télévisions : jusqu’où va l’ambition de Delphine Ernotte, la costkilleuse qui a gardé son costard Orange ? L’Humanité
https://www.humanite.fr/medias/delphine-ernotte/france-televisions-jusquou-va-lambition-de-delphine-ernotte-la-costkilleuse-qui-a-garde-son-costard-orange
Médiamétrie
Autre : sources internes à TF1


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