Le modèle de l’abonnement est-il le futur de l’industrie du jeu vidéo ?
Le modèle de revenus pour les jeux vidéos par abonnement consiste à facturer aux joueurs des frais réguliers, généralement mensuels ou annuels, pour accéder au jeu ou à une bibliothèque de jeux. Il s’illustre aujourd’hui de trois façons différentes :
- Le joueur peut s’abonner pour un jeu unique. Par exemple, il peut souscrire à un abonnement à 12,99 €/mois afin de jouer à World of Warcraft.
- Le joueur peut également s’abonner à une plateforme qui réunit uniquement les jeux en ligne d’une console spécifique. Par exemple, il peut s’abonner à la formule PlayStation Plus Essential au tarif de 8,99 €/mois.
- Enfin, le joueur peut s’abonner à une plateforme qui réunit des jeux de studios et d’entreprises différents. Par exemple, il peut s’abonner au Microsoft Xbox Game Pass pour console pour 9,99 €/mois.
Le modèle de l’abonnement est prédominant dans les industries de la musique, du cinéma et de la télévision. Les consommateurs, qui auparavant avaient l’habitude de louer ou d’acheter des DVDs, sont désormais abonnés en grande partie à des services de streaming populaires tels que Netflix et Disney+. Les services d’abonnement aux jeux vidéos pourraient également devenir le principal moyen de consommation des joueurs. Cet éventuel nouveau paradigme présenterait un intérêt pour les développeurs et les éditeurs, ainsi que pour les joueurs eux-mêmes.
Le modèle de l’abonnement présente plusieurs avantages pour les développeurs de jeux et les éditeurs
Financièrement, ce modèle permet aux développeurs de générer un flux de revenus stable, tandis que la majorité des revenus tend à être générée au moment de la sortie des jeux avant de rapidement décroître. Avoir cette source de financement continu peut aider les développeurs à financer les coûts de développement et de maintenance du jeu à long terme. Il s’agit d’un enjeu primordial dans les configurations de Game As A Service puisqu’ils sont conçus pour s’ancrer dans la durée. Ils sont évolutifs et doivent constamment renouveler leurs contenus afin de fidéliser leurs audiences. L’abonnement permettrait donc de créer un cercle vertueux, puisqu’une mise à jour régulière des contenus permet de renforcer l’intérêt et l’engagement des joueurs, les incitant à renouveler leur abonnement. A l’instar des grands noms du streaming tels que Netflix ou bien encore Disney+, dans cette situation, les fournisseurs des services d’abonnement capitalisent également sur l’inertie des joueurs qui n’annulent pas leurs abonnements.
Le modèle de l’abonnement permettrait de diminuer les coûts de production des jeux vidéos faisant l’objet de ventes physiques. En effet, il impacte directement la chaîne de distribution. Puisqu’il est intrinsèquement lié à la mise à disposition des jeux sur des plateformes numériques, l’étape de l’expédition n’a plus lieu. Cela permet donc de réaliser des économies.
Le modèle de l’abonnement bénéficierait également aux développeurs et éditeurs indépendants, aussi appelés indies ou indés. L’industrie du jeu vidéo est aujourd’hui extrêmement concentrée et dominée par les grands acteurs : il est très difficile pour les indies d’obtenir de la visibilité et de rentabiliser leurs productions. Or, les plateformes d’abonnement peuvent les proposer, ou bien encore financer des productions indés pour des contrats exclusifs avec certaines plateformes. Pour les indépendants, ce modèle d’abonnement leur offre de nouvelles opportunités en termes d’exposition. A titre d’exemple, Mike Rose, le fondateur du studio de production No More Robots, a affirmé que les ventes de leur jeu Descenders ont été quadruplées lorsqu’il a été ajouté sur le Xbox Game Pass. Il faut toutefois nuancer cet argument. Même si ce modèle propose aux indés une nouvelle opportunité, il n’en reste pas moins difficile de rentabiliser leurs jeux. Figurer dans une bibliothèque ou un catalogue de jeux ne reste pas une condition de réussite en elle-même. Pour illustrer, plus de 50% des jeux indés sur Steam (qui n’est certes pas un modèle d’abonnement, mais une bibliothèque de jeux) n’ont jamais généré plus de 4,000$ de revenus.
Source: Pixabay
Le modèle de l’abonnement présente des avantages pour les joueurs occasionnels
D’après le rapport du cabinet de consulting Simon-Kucher, le modèle de l’abonnement permettrait d’exploiter le marché des joueurs occasionnels, réunissant ceux qui jouent cinq heures ou moins par semaine. En effet, il n’est pas intéressant pour cette audience d’investir dans plusieurs jeux uniques à plein tarif sans connaître les titres et sans avoir la certitude de pouvoir les rentabiliser. Cela ne les incite pas non plus à expérimenter de nouveaux titres. C’est dans cette situation que les plateformes d’abonnement se révèlent intéressantes pour eux, puisqu’elles permettent à ces joueurs d’avoir accès à une large variété et à diverses gammes de jeux, et ce sans se ruiner en les achetant individuellement. Au-delà même de cette audience de joueurs occasionnels, les plateformes d’abonnement permettent de toucher une large diversité de segments de consommateurs. Les catalogues mis à disposition permettent de satisfaire une grande variété de goûts, mais ce à condition que les systèmes de recommandation et de tri soient efficaces. Lorsqu’il n’y a aucun risque financier à essayer un nouveau titre, genre ou style, les joueurs sont encouragés à expérimenter de nouvelles choses. Cela peut se traduire par une augmentation du temps passé à jouer. Concrètement, d’après l’enquête Simon-Kucher, 71% des joueurs ayant souscrit à une offre d’abonnement de jeux vidéos passent plus de temps à jouer.
Mais le modèle de l’abonnement ne répond pas à tous les enjeux de l’industrie pour pouvoir s’imposer comme le modèle dominant
Le modèle de l’abonnement crée un enjeu autour de la cannibalisation des offres. Il s’agit notamment de la raison pour laquelle l’éditeur Sony a été réticent à inclure des jeux AAA dans PS Now, estimant que ce n’est pas une stratégie de monétisation qui est durable puisque les revenus générés seulement par l’abonnement ne permettraient pas forcément de maintenir la qualité des jeux de cette gamme de prix (60/80$). Les éditeurs doivent réfléchir soigneusement à la variété de jeux qu’ils mettent à disposition ainsi qu’à l’importance des titres (indie, AA, AAA) qu’ils souhaitent inclure dans un service d’abonnement. Un jeu AAA doit nécessairement être rentabilisé puisque sa production coûte en moyenne 80 millions de dollars. Ajoutant à l’incertitude du succès, il ne serait pas rationnel de sortir des jeux AAA sur abonnement aux niveaux budgétaires actuels.
Dans certaines configurations, les joueurs peuvent être réticents à souscrire à un abonnement. L’abonnement peut se révéler être une barrière à l’entrée. C’est le cas de certains Game As A Service. En effet, les jeux suivant ce modèle n’ont pas forcément les mêmes sources de revenus. Les jeux en ligne les plus populaires actuellement sont gratuits. Par exemple, Fortnite a été le jeu le plus joué sur PC en 2022 et son modèle de revenus repose essentiellement sur les transactions in-game.
Sarah Collot
SOURCES :
LoChiatto, J. (2022) Why Sony is leaving AAA games out of the PlayStation Plus launch, SVG. SVG. Available at: https://www.svg.com/859886/why-sony-is-leaving-aaa-games-out-of-the-playstation-plus-launch/
How much does it cost to develop a game (2022) Rocket Brush studio. Available at: https://rocketbrush.com/blog/how-much-does-it-cost-to-develop-a-game#:~:text=AAA%20games%20are%20the%20big,about%20%2480%20million%20and%20higher
Top 15 most popular PC games of 2022 (2022) Active Player. Available at: https://activeplayer.io/top-15-most-popular-pc-games-of-2022/
Gordon, L. (2021) Game subscriptions are on the rise. indies could suffer, Wired. Conde Nast. Available at: https://www.wired.com/story/game-subscription-indie-developers-gamepass-playstation/
Clist, S. (2022) Are Gaming Subscription Services the future of video games?, KeenGamer. Available at: https://www.keengamer.com/articles/features/others/are-gaming-subscription-services-the-future-of-video-games/
Is subscription economy the future of gaming? (2022) LatentView. Available at: https://www.latentview.com/blog/is-subscription-economy-the-future-of-gaming/
Future of gaming is in subscription services, says Simon-Kucher (2020) Consulting.us. Available at: https://www.consulting.us/news/5274/future-of-gaming-is-in-subscription-services-says-simon-kucher
Martin-Forissier, C. (2017) Quand l’abonnement illimité s’invite Dans l’industrie des Jeux Vidéo, Laboratoire d’Innovation Numérique de la CNIL. Available at: https://linc.cnil.fr/fr/quand-labonnement-illimite-sinvite-dans-lindustrie-des-jeux-video#:~:text=La%20d%C3%A9mat%C3%A9rialisation%20appara%C3%AEt%20comme%20une,large%20choix%20dans%20un%20catalogue.
Clement, J. (2021) Global Video Game Subscriptions Market Size 2025, Statista. Available at: https://www.statista.com/statistics/1240333/consumer-spending-video-game-subscriptions/
Sheth, N. (2022) The Fortnite Business Model – how they make money, Finty. Available at: https://finty.com/us/business-models/fortnite/#:~:text=Fortnite%20makes%20money%20by%20charging,and%20the%20Fortnite%20World%20Cup.
Madan, A. (2019) Xbox Game Pass ‘quadrupled’ descenders sales says developer Mike Rose, Windows Central. Windows Central. Available at: https://www.windowscentral.com/xbox-game-pass-quadrupled-descenders-sales-says-developer-mike-ross.
Games industry data and analysis (2020) Video Game Insights. Available at: https://vginsights.com/insights/article/infographic-indie-game-revenues-on-steam.
Comments are closed here.